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HUMAIN, TROP HUMAIN


ou le pire, et que ces idées de « bon » et de « mauvais » n’ont de sens que, par rapport au sens des hommes, et là même peut-être, à la manière dont ils sont employés, d’ordinaire ne sont pas justifiés : la conception du monde injurieuse ou panégyriste est chose à laquelle il nous faut en tout cas renoncer.

29.

Enivré du parfum des fleurs. — Le vaisseau de l’humanité, pense-t-on, a un tirage toujours plus fort, à mesure qu’il est plus chargé ; on croit que plus la pensée de l’homme est profonde, plus son sentiment est tendre, plus l’estime qu’il fait de soi est élevée, plus est grand son éloignement des autres animaux, — plus il apparaît comme le génie parmi les bêtes, — plus il se rapproche de l’essence réelle du monde et de sa connaissance ; c’est bien ce qu’il fait en réalité par la science, mais il croit le faire plus encore par ses religions et ses arts. Elles sont bien, il est vrai, une floraison du monde, mais qui n’est absolument pas plus proche de la racine du monde que ne l’est la tige : on ne peut du tout tirer d’elles une meilleure intelligence de l’essence des choses, quoique presque chacun le croie. L’erreur a fait l’homme assez profond, tendre, créateur, pour en faire venir une fleur telle que sont les religions et les arts. La pure connaissance eût été hors d’état de le faire. Qui nous dévoilerait l’essence du monde,