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HUMAIN, TROP HUMAIN


de Schopenhauer a prouvé qu’actuellement encore l’esprit scientifique n’est pas suffisamment fort : c’est ainsi que toute la conception du monde et l’idée de l’humanité moyen-âgeuse et chrétienne a pu célébrer encore une fois, dans la théorie de Schopenhauer, malgré l’anéantissement dès longtemps achevé de tous les dogmes chrétiens, une résurrection. Beaucoup de science se fait entendre dans sa théorie, mais ce qui la domine n’est pas la science, mais le vieux « besoin métaphysique » bien connu. C’est assurément l’un des plus grands avantages, et tout à fait inappréciables, que nous tirons de Schopenhauer, qu’il force notre sentiment à reculer pour quelque temps dans des genres de conceptions du monde et de l’homme, vieilles et puissantes, auxquelles nul chemin d’ailleurs ne nous conduirait si facilement. Le gain pour l’histoire et la justice est très grand : je crois qu’aujourd’hui personne ne réussirait aisément, sans le secours de Schopenhauer, à rendre justice au christianisme et à ses frères asiatiques : chose impossible entre autres sur le terrain du christianisme encore existant. Ce n’est qu’après ce grand succès de la justice, après avoir corrigé la conception historique que l’âge des lumières menait avec soi, sur un point si essentiel, qu’il nous est permis de porter de nouveau plus loin la bannière des lumières — la bannière à trois noms : Pétrarque, Érasme, Voltaire. Nous avons fait de la réaction un progrès.