Page:Nietzsche - Humain, trop humain (1ère partie).djvu/471

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
471
HUMAIN, TROP HUMAIN

Celui qui de nos jours encore, à la façon des hommes de la Réforme, combat et renverse les opinions par des soupçons, par des explosions de rage, trahit clairement qu’il aurait brûlé ses adversaires s’il avait vécu en d’autres temps, et qu’il aurait eu recours à tous les moyens de l’Inquisition, s’il avait vécu en adversaire de la Réforme. Cette Inquisition était alors raisonnable, car elle ne représentait autre chose que le grand état de siège qui devait être mis sur tout le royaume de l’Église, lequel, comme tout état de siège, autorisait aux mesures les plus extrêmes, dans la conviction préalable (que nous ne partageons plus aujourd’hui) qu’on possédait la vérité dans l’Église et qu’il fallait à tout prix, par tous les sacrifices, la conserver pour le salut de l’humanité. Mais de nos jours on ne concède si aisément à personne qu’il possède la vérité : les méthodes exactes de la recherche ont assez répandu de méfiance et de prudence pour que tout homme qui défend violemment ses opinions en paroles et en actes fasse l’effet d’un ennemi de notre civilisation actuelle, ou du moins d’un rétrograde. En effet, cette déclaration emphatique, que l’on possède la vérité, vaut maintenant très peu au prix de l’autre déclaration, plus modeste, il est vrai, et moins retentissante, de la recherche de la vérité, qui n’est jamais lasse de rapprendre et de faire de nouvelles expériences.