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HUMAIN, TROP HUMAIN

cette tendance était de ne pas pouvoir être réfuté ; les raisons contraires se montraient-elles très fortes, il lui restait toujours ce recours de calomnier la raison en général et peut-être même d’arborer le « credo quia absurdum est », drapeau de l’extrême fanatisme. Ce n’est pas la lutte des opinions qui a rendu l’histoire si violente, mais bien la lutte de la foi dans les opinions, c’est-à-dire des convictions. Si pourtant tous ceux qui se faisaient de leur conviction une idée si grande, qui lui offraient des sacrifices de toute nature et n’épargnaient à son service ni leur honneur, ni leur vie, avaient consacré seulement la moitié de leur force à rechercher de quel droit ils s’attachaient à cette conviction plutôt qu’à cette autre, par quelle voie ils y étaient arrivés : quel aspect pacifique aurait pris l’histoire de l’humanité ! Combien eut été plus grand le nombre des connaissances ! Toutes ces scènes cruelles qu’offre la persécution des hérétiques de tout genre nous eussent été épargnées par deux raisons : d’abord parce que les inquisiteurs auraient dirigé avant tout leur inquisition sur eux-mêmes, et en auraient fini avec la prétention de défendre la vérité absolue ; puis parce que les partisans eux-mêmes de principes aussi mal fondés que le sont les principes de tous les sectaires et les « croyants au droit » auraient cessé de les partager après les avoir étudiés.