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HUMAIN, TROP HUMAIN

genre ; nous devons être traîtres, pratiquer l’infidélité, abandonner toujours et toujours notre idéal. Nous ne passons pas d’une période de la vie à l’autre sans causer et aussi sans ressentir par là les douleurs de la trahison. Faudrait-il que, pour échapper à ces douleurs, nous nous missions en garde contre les transports de notre sentiment ? Le monde alors ne deviendrait-il pas trop vide, trop spectral ? Demandons-nous plutôt si ces douleurs, lors d’un changement de conviction sont nécessaires ou si elles ne dépendent pas d’une opinion et d’une appréciation erronées. Pourquoi admire-t-on celui qui reste fidèle à sa conviction, et méprise-t-on celui qui en change ? Je crains que la réponse ne doive être : parce que chacun suppose que seuls des motifs de bas intérêt ou de crainte personnelle causent un tel changement. Autrement dit : on croit au fond que personne ne modifie ses opinions tant qu’elles lui sont avantageuses, où du moins qu’elles ne lui font point tort. Mais s’il en est ainsi, c’est là un fâcheux témoignage sur l’importance intellectuelle de toutes les convictions. Examinons un peu comment les convictions naissent et voyons si l’on n’en fait pas beaucoup trop de cas : cela montrera que le changement de convictions aussi est toujours mesuré à une échelle fausse et que jusqu’ici nous avions coutume de souffrir trop de ce changement.