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HUMAIN, TROP HUMAIN

toujours nouveau des besoins nous habitue au travail. Mais dans les pauses où les besoins sont apaisés et, pour ainsi dire, endormis, l’ennui vient nous surprendre. Qu’est-ce à dire ? C’est l’habitude du travail en général qui se fait à présent sentir ! comme un besoin nouveau, adventice ; il sera d’autant plus fort que l’on est plus fort habitué à travailler, peut-être même que l’on a souffert plus fort des besoins. Pour échapper à l’ennui, l’homme travaille au delà de la mesure de ses autres besoins ou il invente le jeu, c’est-à -dire le travail qui ne doit apaiser aucun autre besoin que celui du travail en général. Celui qui est saoul du jeu et qui n’a point, par de nouveaux besoins, de raison de travailler, celui-là est pris parfois du désir d’un troisième état, qui serait au jeu ce que planer est à danser, ce que danser est à marcher, d’un mouvement bienheureux et paisible : c’est la vision de bonheur des artistes et des philosophes.

612.

Enseignement par les portraits. — Si l’on considère une série de portraits de soi-même, des jours de la première enfance à la maturité virile, on constate, avec une agréable surprise, qu’il y a plus de ressemblance entre l’homme et l’enfant qu’entre l’homme et l’adolescent : qu’ainsi vraisemblablement, d’une manière analogue, il s’est produit dans l’intervalle une aliénation temporaire du carac-