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HUMAIN, TROP HUMAIN

montre toujours dans le voisinage de tous les déploiements excessifs de puissance, comme le vieux socialiste type Platon à la cour du tyran de Sicile ; il souhaite (il exige à l’occasion) le despotisme césarien de ce siècle, parce que, comme j’ai dit, il voudrait en être l’héritier. Mais cet héritage même ne suffirait pas à ses fins, il lui faut l’asservissement complet de tous les citoyens à l’État absolu, tel qu’il n’en a jamais existé de pareil ; et comme il n’a plus le moindre droit de compter sur la vieille piété religieuse envers l’État, qu’au contraire il doit, bon gré mal gré, travailler constamment à sa suppression — puisqu’en effet il travaille à la suppression de tous les États existants, — il ne peut avoir d’espoir d’une existence future que pour de courtes périodes, çà et là, grâce au plus extrême terrorisme. C’est pourquoi il se prépare silencieusement à la domination par la terreur et enfonce aux masses à demi cultivées, comme un clou dans la tête, le mot de « Justice », afin de leur enlever toute intelligence (après que cette intelligence a déjà bien souffert de la demi-culture) et de leur procurer, pour le vilain jeu qu’elles auront à jouer, une bonne conscience. — Le socialisme peut servir à enseigner de façon brutale et frappante le danger de toutes les accumulations de puissance dans l’État, et en ce sens insinuer une méfiance contre l’État même. Quand sa rude voix se mêlera au cri de guerre : « Le plus d’État possible », ce cri en déviendra d’abord.