conditionné (le monde métaphysique) et le monde
connu de nous : si bien que dans l’apparence
n’apparaisse absolument pas la chose en soi, et
que toute conclusion de l’une à l’autre soit à repousser.
D’un côté, on ne tient pas compte de ce
fait, que ce tableau — ce qui, pour nous, hommes,
s’appelle actuellement vie et expérience — est
devenu peu à peu ce qu’il est, même est encore
entièrement dans le devenir, et par cette raison
ne saurait être considéré comme une grandeur
stable, de laquelle on aurait le droit de tirer ou
même seulement d’écarter une conclusion sur le
créateur (la cause suffisante). C’est parce que nous
avons, depuis des milliers d’années, regardé le
monde avec des prétentions morales, esthétiques,
religieuses, avec une aveugle inclination, passion
ou crainte, et pris tout notre saoul des impertinences
de la pensée illogique, que ce monde est
devenu peu à peu si merveilleusement bariolé,
terrible, profond de sens, plein d’âme ; il a reçu des
couleurs — mais c’est nous qui avons été les coloristes :
l’intelligence humaine, à cause des appétits
humains, des affections humaines, a fait apparaître
cette « apparence » et transporté dans les choses
ses conceptions fondamentales erronées. Tard, très
tard, elle se prend à réfléchir : et alors le monde de
l’expérience et la chose en soi lui paraissent si extraordinairement
divers et séparés qu’elle repousse la
conclusion de celui-là à celle-ci — ou réclame, d’une
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HUMAIN, TROP HUMAIN