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HUMAIN, TROP HUMAIN



427.

Félicité du mariage. — Toute habitude ourdit autour de nous un réseau toujours plus solide de fils d’araignée ; et aussitôt nous nous apercevons que les fils sont devenus des lacs et que nous-mêmes restons au milieu, comme une araignée qui s’y est prise et doit vivre de son propre sang. C’est pourquoi l’esprit libre hait toutes les habitudes et les règles, tout le durable et le définitif, c’est pourquoi il recommence toujours, avec douleur, à rompre autour de lui le réseau : quoiqu’il doive souffrir par suite bien des blessures petites et grandes — car c’est de lui-même, de son corps, de son âme, qu’il doit arracher ces fils. Il lui faut apprendre à aimer, là où il haïssait, et réciproquement. Même il ne doit pas lui être impossible de semer les dents du dragon sur le champ même où il faisait naguère couler les cornes d’abondance de sa bonté. — On peut de là conclure s’il est fait pour la félicité du mariage.

428.

Trop près. — À vivre trop près d’un homme, il nous arrive la même chose que si nous reprenons toujours une bonne gravure avec les doigts nus : un beau jour nous avons dans les mains un méchant papier sale et rien de plus. L’âme aussi d’un homme est usée par un contact continuel ; du moins elle finit par nous le paraître — nous ne