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HUMAIN, TROP HUMAIN

amis, mais c’est l’erreur, l’illusion sur toi qui les a conduits vers toi ; et il leur faut avoir appris à se taire, pour te rester amis ; car presque toujours de telles relations humaines reposent sur ce qu’une ou deux choses ne seront jamais dites, voire qu’on n’y touchera jamais, mais ces cailloux se mettent-ils à rouler, l’amitié les suit par derrière et se rompt. Y a-t-il des hommes qui pourraient n’être pas blessés mortellement, s’ils apprenaient ce que leurs amis les plus fidèles savent d’eux au fond ? — En apprenant à nous connaître nous-mêmes, à considérer notre être même comme une sphère mobile d’opinions et de tendances, et ainsi à le mépriser un peu, mettons-nous à notre tour en balance avec les autres. Il est vrai, nous avons de bonnes raisons d’estimer peu chacun de ceux que nous connaissons, fût-ce les plus grands ; mais d’aussi bonnes raisons de retourner ce sentiment contre nous-mêmes. — Ainsi supportons les uns des autres ce que nous supportons bien de nous ; et peut-être à chacun viendra même un jour l’heure plus joyeuse où il s’écriera :

« Amis, il n’y a point d’amis ! » s’écriait le sage mourant ;
« Ennemis, il n’y a point d’ennemis ! » — m’écrié-je, moi, le sot vivant.