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HUMAIN, TROP HUMAIN

les interruptions fréquentes ont affaibli Ja cohérence de la culture, la continuité de l’évolution. — Les phases habituelles de la culture intellectuelle qui sont atteintes au cours de l’histoire sont atteintes par les hommes de plus en plus vite. Ils commencent actuellement à entrer en culture en qualité d’enfants animés d’un mouvement religieux et arrivent, environ dans la dixième année, à la plus grande vivacité de ces sentiments ; ils passent ensuite à des formes plus affaiblies (panthéisme), tandis qu’ils se rapprochent de la science ; ils laissent derrière eux Dieu, l’immortalité, et cetera, mais cèdent à la magie d’une philosophie métaphysique. À la fin celle-ci même leur devient incroyable ; c’est l’art au contraire qui semble prendre de plus en plus d’importance, au point que pendant un temps la métaphysique ne continue d’exister et ne persiste qu’à la condition de se métamorphoser en art ou sous la forme d’une tendance à expliquer tout par l’art. Cependant , le sens scientifique va devenant plus impérieux et amène l’homme à la science de la nature et à la recherche historique, entre autres, aux méthodes de connaissance les plus rigoureuses, au lieu que l’art prend une signification de plus en plus faible et modeste. Tout cela, de nos jours, se passe ordinairement dans les trente premières années d’un homme. C’est la récapitulation d’une tâche à laquelle l’humanité a travaillé peut-être pendant trente mille ans.