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HUMAIN, TROP HUMAIN


tique s’est brisée ou n’a pas réussi : ce qui s’est réellement passé est resté pour toujours un secret de l’atelier. — Ce qui est arrivé chez les Grecs, à savoir que tout grand penseur, dans la croyance qu’il était possesseur de la vérité absolue, devint un tyran, si bien que l’histoire de l’esprit chez les Grecs a elle-même revêtu ce caractère de violence, de hâte et d’aventure que montre leur histoire politique —, ce genre d’événements n’a pas été ainsi épuisé : il s’est produit beaucoup de phénomènes analogues jusque dans les époques les plus récentes, quoique toujours plus rarement et, de nos jours, difficilement avec la pure naïveté de conscience des philosophes grecs. Car en tout la théorie adverse et le scepticisme parlent de nos jours trop fort, trop haut. La période des tyrans de l’esprit est passée. Dans les sphères de la culture supérieure, il y a toujours dû, il est vrai, y avoir une domination — mais cette domination est désormais dans les mains de l’oligarchie de l’esprit. Elle forme, en dépit de toute séparationgéographique et politique, une société cohérente, dont les membres se connaissent et se reconnaissent, quelques appréciations favorables ou défavorables que puissent mettre en circulation l’opinion publique et lesjugements des journalistes et des gazetiers qui agissent sur la masse. La supériorité intellectuelle, qui autrefois créait séparation et hostilité, a coutume aujourd’hui d’unir : comment les individus pourraient-ils être maîtres d’eux-mêmes