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HUMAIN, TROP HUMAIN


resté libre du charme socratique, n’aurait pas trouvé un type plus élevé encore d’homme philosophe, perdu pour nous à jamais. On peut voir dans les temps antérieurs à lui comme dans un atelier de sculpteur des échantillons de pareils types. Mais les sixième et cinquième siècles semblent toujours promettre plus et plus haut qu’eux-mêmes n’ont produit ; ils en sont restés à la promesse et à l’annonce. Et cependant à peine y a-t-il une perte plus pénible que celle d’un type, d’une forme supérieure possible de la vie philosophique, nouvelle, restée jusqu’ici indécouverte. Même des types anciens, la plupart sont mal connus par la tradition ; il me semble extrêmement difficile de distinguer tous les philosophes de Thalès à Démocrite ; mais celui qui réussira à recréer ces figures, passera en revue des modèles du type lepluspuissant et le plus pur. Cette capacité est, à la vérité, rare, elle manquait même aux Grecs postérieurs qui s’occupèrent de connaître l’ancienne philosophie ; Aristote surtout semble n’avoir pas ses yeux dans sa tête, quand il se trouve en présence de ces hommes. Et ainsi il semble que ces merveilleux philosophes aient vécu en vain, ou qu’ils n’aient fait que préparer les bataillons disputeurs et parleurs des écoles socratiques. Il y a là, comme j’ai dit, une lacune, une rupture dans l’évolution ; quelque grande catastrophe doit s’être produite, et l’unique statue d’après laquelle on eût pu connaître Je sens et le but de cette grande préparation artis-