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HUMAIN, TROP HUMAIN


procure la foi en la possession de la vérité ne fut-elle jamais plus grande dans le monde, mais jamais aussi la dureté, l’orgueil, le caractère tyrannique et malfaisant d’une pareille foi. Ils étaient des tyrans, partant ce que tout Grec voulait être et était, s’il pouvait l’être. Peut-être Solon seul fait-il exception ; il ditdans ses poésies comment il dédaigna la tyrannie personnelle. Mais il le faisait par amour pour son œuvre, pour sa législation ; et donner des lois est une forme plus raffinée de la tyrannie. Parménide aussi donna des lois, peut-être Pythagore encore et Empédocle ; Anaximandre fonda une ville. Platon était le désir incarné de devenir le plus grand législateur et fondateur d’État philosophe ; il semble avoir terriblement souffert de la non-réalisation de sa nature et son âme était vers la fin de sa vie pleine de la bile la plus noire. Plus la philosophie grecque perdit de puissance, plus elle souffrit intérieurement de cette humeur atrabilaire et chagrine ; quand pour la première fois les sectes diverses défendirent leurs vérités dans les rues, les âmes de tous ces prétendants de la Vérité étaient entièrement gorgées de jalousie et de bave, l’élément tyrannique sévissait alors dans leur propre corps comme un poison. Tous ces petits tyrans auraient voulu se dévorer tout crus ; il ne restait plus en eux une étincelle d’amour et trop peu de plaisirde leur propre connaissance. — En général, l’axiome que les tyrans sont le plus souvent assassinés et que leur postérité vit peu de