Page:Nietzsche - Humain, trop humain (1ère partie).djvu/284

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
284
HUMAIN, TROP HUMAIN


qu’on tolérait cela dans l’art, quoiqu’on n’en voulût pas dans la vie : de même qu’aujourd’hui tout pathétique nous est insupportable dans la vie, bien que dans l’art le spectacle nous en plaise. — Les femmes n’avaient au reste d’autre devoir que d’enfanter de beaux corps puissants, où le caractère du père revivait autant que possible sans interruption, et par là d’opposer une résistance à la surexcitation nerveuse croissante d’une civilisation supérieurement développée. C’est ce qui maintint la civilisation grecque dans une jeunesse relativement si longue ; car, dans les mères grecques, le génie de la Grèce revenait toujours à la nature.

260.

Le préjugé en faveur de la grandeur. — Les hommes font évidemment trop d’estime de tout ce qui est grand et éminent. Cela vient de l’idée consciente ou inconsciente qu’ils trouveront toujours leur intérêt à ce qu’un individu applique toutes ses forces à un seul domaine et qu’il fasse de soi une sorte de monstrueux organe unique. Assurément l’homme lui-même tire plus de profit et de bonheur d’un perfectionnement proportionnel de ses forces ; en effet tout talent est un vampire qui suce le sang et la vigueur des autres forces, et une production exagérée peut conduire l’homme le mieux doué presque à la folie. Dans les arts aussi les