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HUMAIN, TROP HUMAIN


pective, nous sommes en état peut-être de prévenir une telle conclusion de l’avenir.

248.

Consolation d’un progrès désespéré. — Notre temps fait l’effet d’une situation intérimaire ; les vieilles conceptions du monde, les vieilles civilisations, existent encore partiellement, les nouvelles ne sont encore ni assurées ni tournées en habitude, et par là manquent de décision et de conséquence. Mais il en va de même du soldat, lorsqu’il apprend à marcher : il est pour un temps plus incertain et plus maladroit qu’auparavant, parce que ses muscles se meuvent encore tantôt selon l’ancien système, tantôt suivant le nouveau, sans qu’aucun prétende encore décidément à la victoire. Nous hésitons, mais il est nécessaire de ne pas en prendre d’inquiétude ni de lâcher, pour ainsi dire, le nouvel acquis. En outre nous ne pouvons plus revenir à l’ancien, nous avons brûlé nos vaisseaux ; il ne nous reste que d’être vaillants, qu’il en advienne ceci ou cela. — Marchons seulement, bougeons seulement déplacé ! Peut-être un jour notre démarche prendra-t-elle tout de même l’air d’un progrès ; sinon, on pourra nous dire aussi le mot de Frédéric le Grand, et cela à titre de consolation : Ah ! mon cher Sulzer, vous ne connaissez pas assez cette race maudite, à laquelle nous appartenons.