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HUMAIN, TROP HUMAIN


decins spirituels, les soi-disant guérisseurs d’âmes, ne peuvent plus exercer avec l’approbation publique leurs arts de conjuration, et qu’un homme cultivé se détourne d’eux sur son chemin. Le plus haut point de culture intellectuelle d’un médecin n’est pas atteint aujourd’hui quand il connaît les meilleures méthodes modernes, qu’il y est exercé et qu’il sait faire ces conclusions rapides des effets aux causes, par quoi les diagnosticiens sont célèbres : il lui faut en outre avoir une éloquence qui s’accommode à chaque individu et lui tire le cœur du ventre, une virilité dont l’aspect seul chasse la timidité (le ver rongeur de tous les malades), une souplesse diplomatique dans les rapports avec ceux qui ont besoin de joie pour leur guérison et ceux qui doivent (et peuvent) se faire une joie des causes de santé, l’ingéniosité d’un agent de police et d’un procureur à deviner les secrets d’une âme sans les trahir, — bref un bon médecin a besoin aujourd’hui des procédés et des privilèges d’art de toutes les autres professions : c’est ainsi pourvu qu’il est en état de devenir un bienfaiteur pour la société tout entière, par l’accroissement des bonnes œuvres, de la joie et de la fécondité intellectuelles, par la protection contre les méchantes pensées, principes, roueries (dont la source écœurante est si souvent le bas-ventre), par la reconstitution d’une aristocratie de corps et d’esprit (en faisant et empêchant les mariages), par la bienfaisante suppression de tous les