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HUMAIN, TROP HUMAIN


son mouvement, comme objet d’évolution régulière, — cette théorie a pris racine en nous, elle vient maintenant au jour comme un besoin tout puissant de connaissance. On pourrait abandonner l’art, qu’on ne perdrait pas pour cela la faculté apprise de lui : de même qu’on a abandonné la religion, mais non les élévations et les transports de l’âme conquis grâce à elle. Comme l’art plastique et la musique mesurent la richesse de sentiments réellement conquise et gagnée par la religion, de même, après une disparition de l’art, l’intensité et la multiplicité des joies de la vie qu’il a implantées demanderaient encore satisfaction. L’homme de science est le développement ultérieur de l’artiste

223.

Crépuscule de l’art. — De même que dans la vieillesse on se souvient du jeune âge et qu’on célèbre des fêtes du souvenir, de même l’humanité se laisse aller à considérer l’art comme un souvenir ému des joies de la jeunesse. Peut-être que jamais auparavant l’art n’a été compris avec tant de profondeur et d’âme qu’au temps actuel, où la magie de la mort semble jouer autour de lui. Qu’on pense à cette ville grecque de l’Italie méridionale, qui, un seul jour de l’année, célébrait encore ses fêtes grecques, en se lamentant et pleurant de voir la barbarie étrangère triompher chaque jour