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HUMAIN, TROP HUMAIN


quelque grande que soit leur puissance au commencement. Le public enfin, qui a désappris à voir dans l’entravement de la force d’expression, dans la domination organisatrice de tous les moyens de l’art, l’acte proprement artistique, doit priser de plus en plus la force pour l’amour de la force, la couleur pour l’amour de la couleur, la pensée pour l’amour de la pensée, l’inspiration pour l’amour de l’inspiration ; il ne jouira donc plus des éléments et des conditions de l’art, sinon isolément, et pour comble de biens émettra l’exigence naturelle, que l’artiste doit se montrer à lui isolément aussi. Oui, l’on a rejeté les liens « déraisonnables » de l’art gréco-français, mais insensiblement l’on s’est accoutumé à trouver déraisonnables tous les liens, toutes les limitations ; et ainsi l’art marche à l’encontre de sa délivrance et touche en même temps — chose, il est vrai, éminemment instructive — toutes les phases de ses débuts, de son enfance, de son imperfection, de ses tentatives et de ses débordements de jadis : il répète, en allant à sa perte, sa naissance, son progrès. Un des plus grands, à l’instinct de qui l’on peut sans doute se fier et à la théorie duquel il n’a rien manqué qu’un supplément d’une trentaine d’années de pratique, — Lord Byron a dit une fois : « En ce qui concerne la poésie en général, je suis, plus j’y réfléchis, toujours plus fermement convaincu que tous tant que nous sommes nous faisons fausse