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HUMAIN, TROP HUMAIN


même n’est plus que la cendre grise, tandis que le feu a été conservé et propagé partout. — Or si l’on considère que toute action d’un homme, et non pas seulement un livre, devient en quelque matière l’occasiond’autresactions, de décisions, dépensées, que tout ce qui se fait se noue indissolublement à tout ce qui se fera, on reconnaîtra la véritable immortalité qui existe, celle du mouvement : ce qui a été une fois mis en mouvement est dans la chaîne totale de tout l’être, comme un insecte dans l’ambre, enfermé et éternisé.

209.

Joie dans la vieillesse. — Le penseur, et de même l’artiste, qui a mis en sûreté le meilleur de lui-même dans des œuvres, ressent une joie presque maligne quand il voit comment son corps et son esprit sont par le temps brisés et détruits lentement, comme s’il voyait d’un coin un voleur travailler son coffre-fort, sachant, lui, que le coffre est vide et que tous ses trésors sont sauvés.

210.

Fécondité tranquille. — Les aristocrates-nés de l’esprit ne sont pas trop pressés ; leurs créations paraissent et tombent de l’arbre par un tranquille soir d’automne, sans qu’ils soient hâtivement dési-