Page:Nietzsche - Humain, trop humain (1ère partie).djvu/205

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
203
HUMAIN, TROP HUMAIN


prendre ainsi quelles qualités purement humaines ont conflué en eux, quelles circonstances heureuses y ont concouru : ainsi une energie qui un jour trouve sa voie, une application décidée à des fins de détail, un grand courage personnel, puis la chance d’une éducation qui a de bonne heure offert les meilleurs maîtres, modèles, méthodes. À la vérité, si leur but est de produire l’effet le plus grand possible, l’incertitude sur soi-même et cette addition d’une demi-folie a toujours fait beaucoup ; car ce qu’on a admiré et envié de tout temps en eux, c’est justement cette force grâce à laquelle ils rendent les hommes sans volonté et les entraînent à l’illusion que des guides surnaturels iraient devant eux. Oui, cela élève et anime les hommes, de croire quelqu’un en possession de forces surnaturelles : c’est en ce sens que le délire a, comme dit Platon, apporté aux hommes les plus grandes bénédictions. — Dans de rares cas isolés, cette espèce de délire peut bien aussi avoir été le moyen par où une telle nature excessive dans toutes les directions a été maintenue solidement : même dans la vie des individus les conceptions illusoires ont souvent la valeur de remèdes, qui par eux-mêmes sont des poisons ; cependant le poison finit, dans tout « génie » qui croit à sa divinité, par se montrer à mesure que le « génie » devient vieux : qu’on se souvienne par exemple de Napoléon, dont l’être s’est certainement formé justement par cette foi en