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HUMAIN, TROP HUMAIN


plus de plaisir à la réussite du détail, de l’accessoire, qu’à l’effet d’un ensemble éblouissant. La recette, par exemple, pour qu’un homme devienne bon romancier, est facile à donner, mais l’exécution suppose des qualités que l’on a coutume de perdre de vue, quand on dit : « Je n’ai pas assez de talent. » Qu’on fasse un peu cent et plus de projets de nouvelles, pas un dépassant deux pages, mais d’une telle netteté que tout mot y soit nécessaire ; qu’on mette chaque jour par écrit des anecdotes, jusqu’à ce qu’on apprenne à en trouver la forme la plus pleine, la plus efficace ; qu’on soit infatigable à recueillir et à dépeindre des types et des caractères humains ; qu’on raconte avant tout aussi souvent que possible et qu’on écoute raconter, avec un œil et une oreille perçants pour saisir l’effet produit sur les autres assistants ; qu’on voyage comme un paysagiste et un dessinateur de costumes ; qu’on extraye pour son usage de chaque science ce qui, bien exposée produit des effets artistiques ; qu’on réfléchisse enfin sur les motifs des actions humaines, qu’on ne dédaigne aucune indication qui puisse en instruire, et qu’on se fasse collectionneur de pareilles choses jour et nuit. Qu’on laisse passer dans ce multiple exercice quelque dix années : mais ce qui ensuite sera créé dans l’atelier pourra sortir aussi à la lumière des rues. — Que font, au contraire, la plupart ? Ils ne commencent pas par la partie, mais par l’ensemble. Ils feront peut-être