Page:Nietzsche - Humain, trop humain (1ère partie).djvu/198

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
196
HUMAIN, TROP HUMAIN


traire, pour le tout. — Que le peintre et le sculpteur expriment le moins du monde l’ « Idée » de l’homme, c’est là une vaine imagination et une illusion des sens : on est tyrannisé par l’œil quand on parle de pareille façon, parce que cet œil ne voit du corps humain que la superficie, que la peau ; mais l’intérieur du corps rentre tout autant dans l’Idée. L’art plastique veut rendre les caractères visibles sur la peau ; l’art du langage use de la parole pour le même but, il rend le caractère par le son articulé. L’art part de la naturelle ignorance de l’homme sur son être intérieur (corps et caractère) : il n’existe pas pour les physiciens et les philosophes.

161.

Excès d’estime de soi dans la foi aux artistes et aux philosophes. — Nous pensons tous que l’excellence d’une œuvre d’art, d’un artiste, est prouvée, quand ils nous saisissent, nous ébranlent. Mais il faudrait d’abord que notre propre excellence de jugement et d’impression fût prouvée : ce qui n’est pas le cas. Qui a, dans le domaine de l’art plastique, plus saisi et ravi que le Bernin ? qui a plus puissamment agi que ce rhéteur postérieur à Démosthène, qui introduisit le style asiatique et le fit dominer deux siècles durant ? Cette domination sur des siècles entiers ne prouve rien pour l’excellence et la valeur durable d’un style ; c’est pour-