Page:Nietzsche - Humain, trop humain (1ère partie).djvu/185

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.




CHAPITRE IV


DE L’ÂME DES ARTISTES ET DES ÉCRIVAINS



145.

Le parfait est censé ne s’être pas fait. — Nous sommes habitués, en face de toute chose parfaite, à ne pas poser le problème de sa formation : mais à jouir du présent, comme s’il avait surgi du sol par un coup de magie. Vraisemblablement, nous sommes là encore sous l’influence d’un antique sentiment mythologique. Nous subissons presque encore la même impression (par exemple devant un temple grec comme celui de Pæstum) que si un beau matin un dieu avait, en se jouant, bâti sa demeure de ces blocs énormes : ou plutôt, que si une âme avait soudain pénétré par enchantement dans une pierre et voulait maintenant parler par son entremise. L’artiste sait que son œuvre n’aura son plein effet que si elle éveille la croyance à une improvisation, à une miraculeuse soudaineté de production, et ainsi il aide volontiers à cette illusion et introduit dans l’art ces éléments d’inquiétude en-