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HUMAIN, TROP HUMAIN


nui lui montre sa face bâillante : il fouette sa divinisation de lui-même par le mépris de lui-même et la cruauté, il se plaît à l’éveil sauvage de ses appétits et à la douleur pénétrante du péché, voire à l’idée de la perdition, il sait mettre une entrave à ses passions, par exemple à celle de l’extrême désir de la domination, si bien qu’il passe à l’extrême humilité et que son âme traquée est par ce contraste arrachée de tous les gonds ; et enfin quand il rêve de visions, d’entretiens avec les morts ou des êtres divins, c’est au fond une espèce rare de jouissance qu’il désire, peut-être cette jouissance dans laquelle toutes les autres sont ramassées en un nœud. Novalis, une des autorités en matière de sainteté par expérience et par instinct, révèle une fois tout le secret avec une joie naïve : « Il est assez étonnant que, depuis longtemps, l’association de la volupté, de la religion et de la cruauté n’ait pas rendu les hommes attentifs à leur parenté intime et à leur tendance commune. »

143.

Ce n’est pas ce qu’est le saint, mais ce qu’il signifie aux yeux du non saint, qui lui donne sa valeur dans l’histoire universelle. C’est parce qu’on se trompait sur lui, parce qu’on expliquait à faux ses états d’âme et qu’on le séparait de soi autant que possible, comme quelque chose d’absolument