fortes émotions ; une fois l’homme porté à une excitation
extraordinaire, il peut se déterminer aussi
bien à une vengeance effroyable qu’à un effroyable
anéantissement de son besoin de vengeance. Ce
qu’il veut, sous l’influence de la violente émotion,
c’est toujours le grand, le violent, le monstrueux, et
remarque-t-il par hasard que le sacrifice de soi-même
lui donne autant ou plus encore de satisfaction
que le sacrifice d’autrui, il choisit celui-là. Proprement,
il ne s’agit donc pour lui que de décharger
son émotion ; alors il peut, pour soulager
son excitation, embrasser les épieux des ennemis
et les ensevelir dans sa poitrine. Ce fait que, dans le
renoncement à soi-même, et non pas seulement dans
la vengeance, il y a quelque grandeur, n’a dû être
appris à l’humanité que par une longue accoutumance ;
une divinité qui s’offre elle-même en sacrifice
fut le symbole le plus fort, le plus efficace de
cette sorte de grandeur. C’est comme la victoire
sur l’ennemi le plus difficile à vaincre, comme le
soudain assujettissement d’une passion — c’est
comme tel qu’apparaît ce renoncement : et c’est
ainsi qu’il passe pour le comble de la moralité. En
réalité, il s’agit là de la confusion d’une idée avec
l’autre, la conscience gardant sa même élévation,
son même équilibre. Des hommes de sang-froid, en
repos à l’égard de la passion, ne comprennent plus
la moralité de ces moments-là, mais l’admiration
de tous ceux qui les ont vécus en même temps leur
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HUMAIN, TROP HUMAIN