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HUMAIN, TROP HUMAIN


— Autant des penseurs isolés se sont efforcés d’établir, dans ces rares manifestations de la moralité qu’on a coutume d’appeler ascétisme et sainteté, une chose miraculeuse, sous le nez de laquelle tenir la lumière d’une explication raisonnable est déjà presque un crime et un sacrilège : autant est forte à son tour la séduction qui mène à ce crime. Une puissante impulsion naturelle a de tout temps conduit à protester en général contre ces manifestations ; la science étant, comme il a été dit, une imitation de la nature, se permet au moins d’élever des objections contre leur prétendue inexplicabilité, pour ne pas dire inaccessibilité. Il est vrai que jusqu’ici elle n’y a pas réussi : ces manifestations sont toujours inexpliquées, à la grande satisfaction des dits vénérateurs du merveilleux moral. Car, à parler en général : l’inexpliqué doit être absolument inexplicable, l’inexplicable absolument anti-naturel, surnaturel, miraculeux — voilà l’axiome qui se formule dans les âmes de tous les religieux et métaphysiciens (des artistes aussi, lorsqu’ils sont en même temps penseurs) ; au lieu que l’homme de science voit dans cet axiome le « mauvais principe ». — La première vraisemblance générale à laquelle on arrivera par la considération de la sainteté et de l’ascétisme est celle-ci, que leur nature est compliquée : car presque partout, dans le monde physique comme dans le monde moral, on s’est heureusement trouvé de réduire le prétendu merveil-