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HUMAIN, TROP HUMAIN


toujours et toujours à nouveau ce sacrifice, cette vie pour lui : en sorte que les hommes d’amour et de sacrifice ont un intérêt à la conservation des égoïstes sans amour et incapables de sacrifice, et que la haute moralité, pour pouvoir exister, devrait expressément produire l’existence de l’immoralité (par où,il est vrai, elle se supprimerait elle-même). — En outre : l’idée d’un Dieu inquiète et humilie tant qu’on y croit, mais quant à la façon dont elle est née, c’est sur quoi, dans l’état actuel de l’ethnologie comparée, il ne peut plus y avoir de doute ; et dès que l’on se rend compte de cette naissance, cette croyance est ruinée. Il en va du chrétien, qui compare son être avec celui de Dieu, comme de don Quichotte, qui déprécie sa propre vaillance parce qu’il a en tcte les exploits merveilleux des héros de romande chevalerie : l’unité qui dans les deux cas sert de mesure appartient au domaine de la Fable. Mais si l’idée de Dieu est ruinée, il en est de même du sentiment du « péché » comme d’un crime contre des préceptes divins, comme d’une souillure portée à des êtres consacrés à Dieu. Alors il ne reste vraisemblablement que cette inquiétude qui est très parente et très proche de la crainte des châtiments de la justice mondaine ou du mépris des hommes : l’aiguillon le plus cuisant dans le sentiment du péché est désormais brisé, quand on s’aperçoit que l’on a par ses actes violé sans doute la tradition humaine, les préceptes et les