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HUMAIN, TROP HUMAIN


sonnel ; bien mieux, comment pourrait-il faire quoi que ce soit qui fût sans rapport à lui, partant sans une nécessité intérieure (laquelle doit cependant avoir toujours sa raison dans un besoin personnel) ? Comment l’ego pourrait-il agir sans ego ? Un Dieu qui par contre est tout amour, tel qu’on l’admet à l’occasion, ne serait capable d’aucune action non-égoïste : à ce propos l’on devrait se souvenir d’une pensée de Lichtenberg, empruntée, il est vrai, à une sphère plus humble : « Nous ne pouvons du tout sentir pour d’autres, comme on a coutume de le dire ; nous ne sentons que pour nous. Cette proposition sonne dure, mais elle ne l’est pas, si seulement on l’entend bien. On n’aime ni père, ni mère, ni femme, ni enfant, mais les sentiments agréables qu’ils nous procurent », ou, comme dit La Rochefoucauld : « Si on croit aimer sa maîtresse pour l’amour d’elle, on est bien trompé. » C’est pourquoi les actes d’amour sont prisés plus haut que d’autres, non pas certes à cause de leur essence, mais de leur utilité ; qu’on compare là-dessus les recherches déjà citées plus haut. « Sur l’origine des sentiments moraux. » Mais dut un homme souhaiter d’être, comme ce Dieu, tout amour, de faire et de vouloir tout pour d’autres, rien pour soi, c’est là encore une chose impossible, par la raison qu’il lui faut faire beaucoup pour lui afin de pouvoir faire quoi que ce soit pour d’autres. Puis, cela suppose que l’autre est assez égoïste pour accepter