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HUMAIN, TROP HUMAIN


ce au reste que le supplice d’un seul homme en comparaison des éternels supplices de l’enfer pour presque tous ? Et cependant cette conception régnait alors par le monde entier, sans que l’horreur bien plus grande en fît un mal essentiel à l’idée d’un Dieu. Chez nous aussi, des sectaires politiques sont traités d’une manière dure et cruelle, mais étant accoutumés à croire à la nécessité de l’État, on ne sent pas en ce cas les cruautés autant que dans ceux où les conceptions nous répugnent. La cruauté envers les animaux qu’on trouve chez les enfants et chez les Italiens se ramène au défaut d’intelligence ; l’animal a été, particulièrement dans l’intérêt de la théorie cléricale, rejeté trop loin derrière l’homme. — Ce qui adoucit encore beaucoup d’horreurs et d’inhumanités dans l’histoire, auxquelles l’on voudrait à peine ajouter foi, c’est cette considération que l’ordonnateur et l’exécuteur sont des personnages différents : le premier n’a pas la vue du fait, ni par conséquent la forte impression sur l’imagination, le second obéit à un supérieur et se sent irresponsable. La plupart des princes et des chefs militaires font aisément, par le manque d’imagination, l’effet d’hommes cruels et durs sans l’être. — L’Égoïsme n’est pas méchant, parce que l’idée du « prochain » — le mot est d’origine chrétienne et ne correspond pas à la réalité — est en nous très faible ; et nous nous sentons libres et irresponsables envers lui presque comme envers la