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HUMAIN, TROP HUMAIN


avant nous un fruit de l’arbre, juste quand nous avons faim et courons vers l’arbre : c’est ce que nous ferions encore de l’animal en voyageant dans des contrées sauvages. — Les mauvaises actions qui nous indignent aujourd’hui le plus reposent sur cette erreur, que l’homme qui les commet à notre égard aurait son libre arbitre : que par conséquent il aurait dépendu de son bon plaisir de ne pas nous faire ce tort. Cette croyance au bon plaisir éveille la haine, le plaisir de la vengeance, la malice, la perversion entière de l’imagination, au lieu que nous nous fâchons beaucoup moins contre un animal, parce que nous le considérons comme irresponsable. Faire du mal, non par instinct de conservation, mais par représailles — est la conséquence d’un jugement erroné, et par cela même également innocent. L’individu peut, dans les conditions sociales antérieures à l’État, traiter d’autres êtres avec dureté et cruauté pour les effrayer ; c’est qu’il veut assurer son existence par ces preuves effrayantes de sa puissance. Ainsi agit le violent, le puissant, le fondateur d’État primitif qui se soumet les plus faibles. Il en a le droit, comme l’État le prend encore aujourd’hui ; ou, pour mieux dire, il n’y a point de droit qui puisse l’empêcher. La première condition pour que s’établisse le terrain de toute moralité, c’est qu’un individu plus fort ou un individu collectif, par exemple la société, l’État, soumette les individus, par conséquent les tire de