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HUMAIN, TROP HUMAIN


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Morale et moral. — Être moral, avoir des mœurs, avoir de la vertu, cela veut dire pratiquer l’obéissance envers une loi et une tradition fondées depuis longtemps. Que l’on s’y soumette avec peine ou de bon cœur, c’est là chose longtemps indifférente ; il suffit qu’on le fasse. Celui qu’on appelle « bon » est enfin celui qui par nature, à la suite d’une longue hérédité, partant facilement et volontiers, agit conformément à la morale, quelle qu’elle soit (par exemple se venger, si se venger fait partie, comme chez les anciens Grecs, des bonnes mœurs). On l’appelle bon parce qu’il est bon « à quelque chose » ; or, comme la bienveillance, la pitié, les égards, la modération, et cetera, finissent, dans le changement des mœurs, par être toujours sentis comme « bons à quelque chose », comme utiles, c’est plus tard le bienveillant, le secourable qu’on nomme de préférence « bon ». (À l’origine, c’étaient d’autres espèces plus importantes d’utilité qui occupaient le premier plan.) Etre méchant, c’est n’être « pas moral » (immoral), pratiquer l’immoralité, résister à la tradition, quelque raisonnable ou absurde qu’elle soit ; le dommage fait à la communauté (et au « prochain », qui y est compris) a d’ailleurs été, dans toutes les lois morales des diverses époques, ressenti principalement comme l’« immoralité » au sens propre, au point que, maintenant, le mot « mé-