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et qu’il est tout aussi facile de prêcher la morale qu’il est difficile d’en fonder une. Sa tâche eût été, au contraire, d’expliquer et d’analyser sérieusement, en partant des principes darwiniens, les phénomènes de la bonté humaine, de la compassion, de l’amour et de l’abnégation. Mais il a préféré fuir la tâche de l’explication en faisant un saut dans l’impératif. Ce faisant, il lui arrive même de passer outre, d’un cœur léger, aux théories fondamentales de Darwin. « N’oublie, en aucun instant, dit Strauss, que tu es un être humain et non pas seulement un organisme de la nature, que tous les autres sont également des hommes, c’est-à-dire, malgré leur diversité intellectuelle, quelque chose de semblable à toi, avec les mêmes besoins et les mêmes exigences — et c’est là la somme de toute morale » (p. 238). Mais d’où vient cet impératif ? Comment l’homme peut-il le renfermer au fond de lui-même, alors que, selon Darwin, l’homme est simplement un être de la nature et qu’il s’est développé, selon des lois différentes de cet impératif, jusqu’à la hauteur de l’homme ? En oubliant à tout instant que les autres êtres de la même espèce possèdent les mêmes droits, en se considérant comme le plus fort et en amenant, peu à peu, la disparition des autres exemplaires d’un naturel plus faible. Tandis que Strauss est forcé d’admettre qu’il n’y eut jamais deux êtres exactement pareils et que toute l’évolution de l’homme, depuis le degré animal