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doit provisoirement pas nous préoccuper, à moins que nous ne voulions nous amuser d’une petite plaisanterie ; car la présomption des petits reptiles humains est ce qu’il y a de plus drôle et de plus joyeux sur le théâtre de la vie. Mais à quoi tu sers, toi, l’individu ! demande-le-toi, et si personne d’autre ne peut te le dire, essaye donc de justifier le sens de ton existence, en quelque sorte a posteriori, en t’imposant à toi-même un but, un « service » supérieur et noble. Que ce service te fasse périr ! Je ne connais pas de meilleur but dans la vie que de se briser contre le sublime et l’impossible, animae magnae prodigus. Si, par contre, les idées du devenir souverain, de la fluidité de toutes les conceptions, de tous les types et de toutes les espèces, de l’absence de toute diversité entre l’homme et la bête — doctrines que je tiens pour vraies, mais pour mortelles, — avec la folie de l’enseignement qui règne aujourd’hui, sont jetées au peuple pendant une génération encore, personne ne devra s’étonner, si le peuple périt d’égoïsme et de mesquinerie, ossifié dans l’unique préoccupation de lui-même. Il commencera par s’effriter et par cesser d’être un peuple. À sa place, nous verrons peut-être apparaître, sur la scène de l’avenir, un enchevêtrement d’égoïsmes individuels, de fraternisations en vue de l’exploitation rapace de ceux qui ne sont pas des « frères », et d’autres créations semblables de l’utilitarisme commun.