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battant son temps il combat ce qui l’empêche d’être grand, c’est-à-dire libre et complètement lui-même. Il s’ensuit que son inimitié est au fond dirigée préci­sément contre ce qui n’est pas lui-même, bien qu’il en soit lui-même affligé, c’est-à-dire contre l’impur mé­lange et l’impur côte-à-côte de choses qui ne sauraient se mêler et se confondre, contre la soudure artificielle de l’actuel et de l’inactuel. En fin de compte, le pré­tendu enfant de l’époque apparaît seulement comme un enfant utérin de celle-ci. Ainsi Schopenhauer, dès sa plus tendre jeunesse, s’éleva contre cette mère indi­gne, fausse et vaniteuse qu’est notre époque, et, en l’expulsant en quelque sorte de lui-même, il purifia et guérit son être et se retrouva lui-même dans toute la santé et la pureté qui lui appartenaient. C’est pourquoi les écrits de Schopenhauer doivent être utilisés comme des miroirs du temps et cela ne tient certainement pas à un défaut du miroir si tout ce qui est actuel y appa­raît comme déformé par la maladie, amaigri et pâle, avec les yeux caves et la mine fatiguée, expression visi­ble des souffrances de cette hérédité mauvaise.

Chez Schopenhauer, le désir d’une nature vigoureuse, d’une humanité saine et simple n’était que le désir de se retrouver lui-même ; et sitôt qu’il eut vaincu en lui l’es­prit du temps, il découvrit nécessairement aussi le génie qui cuvait en son âme. Le secret de son être lui fut alors révélé, le dessein de lui cacher ce génie qu’avait cette marâtre, notre temps, fut mis à néant. L’empire de la nature transfigurée était découvert! Dès lors, quand il tournait son regard intrépide vers la question : « Que vaut la vie ? » il n’avait plus à condamner une époque