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Si nous appliquons ces paroles à Schopenhauer, nous touchons au troisième danger,le plus particulier celui-là, au milieu duquel il vivait et qui se tenait caché dans l'édifice même de son être. Tout homme trouve en lui-même une limitation, aussi bien de ses dons que de sa volonté morale, qui le remplit de désirs et de mé­lancolie; de même que le sentiment de son péché le fait aspirer à la sainteté ; en tant qu'être intellectuel il porte en lui l'appétit profond du génie. C'est ici que nous touchons à la racine véritable de toute culture et si j'entends par là le désir de l'homme de renaître génie ou saint, je sais qu'on n'a pas besoin d'être bouddhiste pour comprendre ce mythe. Partout où nous trouvons ces dons intellectuels sans ce désir, dans les milieux savants aussi bien que parmi les gens qui se prétendent cultivés, ils n'éveillent chez nous que de la répugnance ou du dégoût ; car nous nous doutons que de pareils hommes, avec tout leur esprit, ne développent point, mais entravent tout au contraire toute culture qui serait en train de naître, de même que la création du génie qui est le but de toute culture. Il y a là un état d'endur­cissement jqui équivaut, par sa valeur, à cette vertu fière d'elle-même, habituelle et froide, qui est ce qu'il y a de plus éloigné et qui éloigne le plus de la sainteté véritable. La nature de Schopenhauer était double. Condi­tion singulière et particulièrement dangereuse ! Peu de penseurs ont ressenti, dans une pareille mesure et avec une certitude incomparable, que le génie habitait en eux. Le génie de Schopenhauer lui permettait ce qu'il y a de plus haut et qu'il n'y aurait pas de sillon plus profond que celui que le soc de sa charrue graverait dans le sol