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n’est pas là l’argument le moins négligeable, ces jeunes Allemands vénèrent en Wagner un chef, quelqu’un qui est capable de commander, de se reposer sur, lui seul, de renvoyer toujours à lui-même, de s’affirmer avec opinâtreté et toujours au nom du « peuple élu », des Allemands l Bref, ce qui séduit c’est le caractère de tribun populaire et de démagogue de cet artiste, car Wagner lui aussi fait partie des démagogues de l’art qui savent agir sur l’instinct des masses, et qui, par là même, subordonnent les instincts de ces jeunes gens dont les désirs vont à la puissance.

De quel goût abominable est, chez Wagner, cette mise en scène de soi-même, ces jeunes gens enthousiastes ne s’en sont pas encore aperçus. La jeunesse a droit au mauvais goût, c’est son droit à elle. Mais si l’on veut savoir où un vieux preneur de rats roué peut mener l’innocence et l’empressement inconsidéré des jeunes gens, jusqu’où va sa séduction, qu’on jette un regard sur ces marécages littéraires du fond desquels, dans ces dernières années, le maître vieilli, en compagnie de ces « jeunes », aimait à chanter (« chanter » est-ce bien là le vrai mot ?) — je veux parler des Feuilles de Bayreuth si mal famées l C’est là véritablement un marécage : de l’arrogance, du germanisme, et de la confusion dans les idées, en un triste pêle-mêle, un intolérable sirop, sucré de compassion, coulé par là-dessus ; mêlé à tout cela un penchant purement théorique pour les légumes verts et une larmoyante sympathie pour les bêtes ; tout à côté une haine sans fard de la science, une haine véritable et foncière qui n’a rien de théorique et, en général, le persiflage et la calomnie de tout ce qui bouchait et bouche encore la route de Wagner (combien le gênaient la nature noble de Mendelssohn et la nature pure de Schumann !) ; avec cela une habile recherche des troupes d’appui, des avances faites aux partis puissants, par exemple le jeu malpropre des regards tournés vers les symboles chrétiens (Wagner, le vieil athée,