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sément dans cet « aujourd’hui », nous encourage le plus fortement à vivre selon notre propre mesure, conformément à nos propres lois. N’est-il pas inexplicable que nous vivions en ce moment, alors qu’un temps infini nous a formés, que nous ne disposions que de notre brève existence actuelle, au cours de laquelle nous devons montrer pourquoi et dans quel dessein nous sommes nés précisément aujourd’hui ? Nous avons à répondre de notre existence devant nous-mêmes ; c’est pourquoi nous voulons être aussi les véritables pilotes de cette existence et ne pas permettre que notre vie ressemble à un hasard sans idées directrices. Il faut la traiter avec quelque peu d’audace et l’envisager dangereusement, d’autant plus qu’au meilleur comme au pire des cas, il ne peut nous arriver que de la perdre. Pourquoi s’attacher à cette glèbe, pourquoi tenir à tel métier, pourquoi tendre l’oreille pour écouter ce que dit le voisin ? C’est bien «  petite ville » que de s’engager à des opinions qui ne comptent plus à des centaines de lieues de distance. L’orient et l’occident n’ont d’autre valeur que celle de quelques traits à la craie que quelqu’un dessine devant nos yeux pour se moquer de notre poltronnerie.

« Je veux faire l’essai de parvenir à la liberté », se dit la jeune âme ; et elle devrait en être empêchée parce que le hasard veut que deux nations se haïssent et se combattent, ou qu’il y ait une mer entre deux parties du monde, ou qu’autour d’elle on enseigne une religion qui, pourtant, il y a quelques milliers d’années, n’existait pas encore. « Tout cela, ce n’est pas toi, se dit-elle. Personne ne peut te construire le pont sur lequel toi tu devras franchir le pont de la vie, personne hormis toi seul. » Il est