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AURORE

depuis longtemps une torture ; vous finirez bien par les trouver ! Celui-ci témoigne de la pitié à l’égard des animaux et on l’admire à cause de cela, — mais il y a certaines gens à qui, par là, il a voulu faire subir sa cruauté. Voici un grand artiste : la volupté qu’il goûte d’avance, en se figurant l’envie des rivaux terrassés, n’a pas laissé dormir sa vigueur jusqu’à ce qu’il soit devenu un grand homme — combien de moments amers chez d’autres âmes s’est-il fait payer pour atteindre à sa grandeur ! La chasteté de la nonne : de quels yeux menaçants dévisage-t-elle les femmes qui vivent autrement qu’elle ! Quelle joie vengeresse il y a dans ses yeux ! Le thème est court, les variations pourraient en être innombrables, mais elles ne sauraient devenir fastidieuses, — car affirmer que la moralité de la distinction n’est, en dernière instance, que la joie que procure la cruauté raffinée, c’est là une nouveauté par trop paradoxale et presque blessante. En dernière instance — je veux dire : chaque fois dans la première génération. Car, lorsque l’habitude d’une action qui distingue devient héréditaire, l’arrière-pensée ne se transmet pas (seuls les sentiments et non les pensées peuvent s’hériter) : et, en supposant que l’on ne l’introduise pas à nouveau par l’éducation, à la seconde génération la joie de la cruauté, dans l’action qui distingue, n’existe déjà plus : mais seulement encore la joie que procure l’habitude de cette action, à elle seule et comme telle. Mais cette joie-là est le premier degré du « bien ».