Page:Nietzsche - Aurore.djvu/406

Cette page a été validée par deux contributeurs.
406
AURORE

il pas perdu de son charme pour nous ? En même temps que notre disposition à la crainte, notre propre dignité, notre solennité, notre caractère redoutable ne seraient-ils pas devenus moindres ? Peut-être estimons-nous moins le monde et nous-mêmes depuis que nous avons à son sujet et au nôtre des pensées plus courageuses ? Peut-être viendra-t-il un moment, dans l’avenir, où ce courage du penseur aura tellement grandi qu’il aura le suprême orgueil de se sentir au-dessus des hommes et des choses, — où le sage, étant le plus courageux, sera celui qui se verra lui-même et l’existence tout entière le plus profondément à ses pieds ? — Cette catégorie du courage qui n’est pas éloignée d’une excessive générosité, a manqué jusqu’à présent à l’humanité. Ah ! les poètes, que ne veulent-ils redevenir ce qu’ils furent peut-être autrefois : des visionnaires qui nous disent quelque chose de ce qui est possible. Maintenant qu’on leur retire des mains et qu’il faut de plus en plus leur retirer des mains ce qui est réel et ce qui est du passé, — car l’époque de l’innocent faux-monnayage est close ! — ils devraient nous dire quelque chose de ce qui touche les vertus à venir ! ou les vertus qui ne seront jamais sur la terre, bien qu’elles puissent être quelque part dans le monde, — les constellations empourprées et les grandes voies lactées du beau ! Où êtes-vous, astronomes de l’idéal ?

552.

L’égoïsme idéaliste. — Il y a-t-il un état plus