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AURORE

natures actives, dominatrices, violentes, conquérantes : dès lors il veut fonder des institutions qui portent son nom au lieu de fonder des édifices d’idées. Que sont pour lui maintenant les victoires et les honneurs éthérés dans le royaume des démonstrations et des réfutations ! Que lui est une immortalité par des livres, une jubilation frissonnante dans l’âme d’un lecteur ! L’institution par contre est un temple, — c’est ce qu’il sait bien, et un temple de pierre, un temple durable, qui fait vivre son dieu avec plus de certitude que les holocaustes des âmes tendres et rares. Peut-être lui arrive-t-il aussi, vers cette époque, de trouver pour la première fois cet amour qui s’adresse plutôt à un dieu qu’à un homme, alors tout son être s’adoucit et s’amollit sous les rayons d’un pareil soleil, tel un fruit à l’automne. Il devient aussi plus divin et plus beau, le grand vieillard — et c’est, malgré tout, l’âge et la fatigue qui lui permettent de mûrir de la sorte, de devenir silencieux et de se reposer dans la lumineuse adulation d’une femme. C’en est fait maintenant de son ancien désir altier de disciples véritables, désir supérieur même à son propre moi, de disciples qui seraient le véritable prolongement de sa pensée, c’est-à-dire des adversaires : ce désir avait sa source dans la force non affaiblie, dans la fierté consciente et la certitude de pouvoir devenir lui aussi, à tout moment, l’adversaire et l’ennemi irréconciliable de sa propre doctrine, — maintenant il lui faut des partisans déclarés, des camarades sans scrupules, des troupes auxiliaires, des hérauts, une suite pompeuse. Maintenant il n’est plus capable de supporter