permettre au soir de juger le jour, car trop souvent alors la fatigue se fait justicière de la force, du succès et de la bonne volonté. Et de même s’imposerait la plus grande précaution, en ce qui concerne la vieillesse et son jugement de la vie, vu que la vieillesse, tout comme le soir, aime à vêtir le déguisement d’une moralité nouvelle et charmante et qu’elle sait humilier le jour par les rougeurs du couchant, par le crépuscule, le calme paisible ou plein de désirs. La piété que nous apportons au vieillard, surtout lorsque ce vieillard est un vieux penseur et un vieux sage, nous rend facilement aveugles à l’égard du vieillissement de son esprit, et il est toujours nécessaire de mettre au jour les symptômes d’un tel vieillissement et d’une telle lassitude, c’est-à-dire de montrer le phénomène physiologique qui se cache derrière le jugement et le préjugé moral, nécessaire de ne pas être dupe de la piété et de ne pas porter préjudice à la connaissance. Car il n’est pas rare que l’illusion d’une grande rénovation morale et d’une régénération s’empare du vieillard. Basé sur ce sentiment, celui-ci émet, sur l’œuvre et le développement de sa vie, des jugements qui voudraient faire croire que ce n’est qu’à partir de maintenant qu’il est devenu clairvoyant : et pourtant l’inspiratrice de ce bien-être, et de ce jugement plein d’assurance est, non la sagesse, mais la fatigue. Le signe le plus dangereux de cette fatigue est certainement la croyance au génie qui ne s’empare généralement des grands et des demi-grands hommes de pensée qu’à cette limite de la vie : la croyance à
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