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AURORE

croyez-vous que vos yeux sont meilleurs ? Ne faut-il pas de la chaleur et de l’enthousiasme pour rendre justice à une chose de la pensée ? — et c’est cela que l’on appelle voir ! Comme s’il vous était possible d’avoir avec les choses de la pensée des rapports différents de ceux que vous avez avec les hommes ! Il y a dans ces relations la même moralité, la même honorabilité, la même arrière-pensée, le même relâchement, la même crainte, — il y a là tout votre moi aimable et haïssable ! Vos affaiblissements physiques prêteront aux choses des couleurs ternes, vos fièvres en feront des monstres ! Votre matin n’éclaire-t-il pas autrement les choses que votre soir ? Ne craignez-vous pas de retrouver dans la caverne de tout ce qui est la connaissance votre propre fantôme, filet où s’enveloppe la vérité pour se déguiser devant vous ? N’est-ce pas une comédie épouvantable où vous voulez jouer si étourdiment votre rôle ?

540.

Apprendre. — Michel-Ange voyait en Raphaël l’étude, en lui-même la nature : là l’art appris, ici le don naturel. Cela cependant est une pédanterie, soit dit sans vouloir manquer de respect au grand pédant. Le talent qu’est-il d’autre, si ce n’est le nom que l’on donne à une étude antérieure, à une expérience, un exercice, une appropriation, une assimilation, étude qui remonte peut-être au temps de nos pères, ou plus loin encore ! Et de plus : celui qui apprend se crée ses propres dons, — cependant il n’est pas facile d’apprendre et ce