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AURORE

538.

Aliénation morale du génie. — On peut observer chez une certaine catégorie de grands esprits un spectacle pénible, parfois épouvantable : leurs moments les plus féconds, leurs vols en haut et dans le lointain ne semblent pas être conformes à l’ensemble de leur constitution, et en dépasser la force d’une façon ou d’une autre, de sorte qu’il en reste toujours une tare et qu’il en résulte à la longue une défectuosité de la machine, laquelle se manifeste encore chez les natures d’une si haute intellectualité, dont il est question ici, dans toutes sortes de symptômes moraux et intellectuels, beaucoup plus régulièrement que dans des états de maladies corporels. Ces côtés incompréhensibles de leur nature, ce qu’ils ont de craintif, de vaniteux, de haineux, d’envieux, de rétréci et de rétrécissant, et qui se manifeste soudain chez eux, ce qu’il y a de trop personnel et de contraint dans des natures comme celles de Rousseau et de Schopenhauer, pourrait très bien être les conséquences d’une maladie de cœur périodique : celle-ci cependant la conséquence d’une maladie des nerfs, et celle-ci enfin la conséquence de — —. Tant que le génie habite en nous, nous sommes pleins de hardiesse, nous sommes comme fous et nous nous soucions peu de la santé, de la vie et de l’honneur ; nous traversons le jour de notre vol plus libres qu’un aigle, et dans l’obscurité, nous nous sentons plus en sécurité qu’un hibou. Mais soudain le génie nous abandonne et aussitôt une crainte profonde nous envahit : nous ne nous comprenons