Page:Nietzsche - Aurore.djvu/383

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
383
AURORE

tant dans le détail ces hommes sont doux et souples ; ils tournent dix fois autour d’une chose, avec une hésitation bienveillante, mais ils finissent par suivre leur chemin sévère. Ce sont des fleuves aux boucles nombreuses et avec des ermitages isolés ; il y a des endroits sur leur cours où les eaux jouent à la cachette avec elles-mêmes et se permettent en passant de courtes idylles avec des îlots, des arbres, des grottes, des chutes d’eau : puis elles continuent à suivre leur cours, passant devant des rochers et se frayant un chemin à travers les roches les plus dures.

531.

Avoir un autre sentiment en face de l’art. — À partir du moment où l’on se met à vivre en ermite, dévorant et dévoré, avec la seule compagnie de ses pensées profondes et fécondes, on ne veut plus rien savoir du tout de l’art, ou bien on lui demande tout autre chose que jadis, — c’est-à-dire que l’on change son goût. Car autrefois, par le moyen de l’art, on voulait, pour un moment, pénétrer dans l’élément où l’on vit maintenant d’une façon stable ; alors on évoquait en rêve le ravissement d’une possession, maintenant on possède. Au contraire, jeter loin de soi ce que l’on tient à présent, et rêver que l’on est pauvre, enfant, mendiant et fou — cela peut maintenant nous faire plaisir à l’occasion.

532.

« L’amour rend égaux ». — L’amour veut épar-