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AURORE

se fait chaque fois tard jusqu’à ce que l’eau du puits de mon moi monte jusqu’au jour, et souvent il faut que je souffre de la faim plus longtemps que je n’en ai la patience. C’est pourquoi je vais dans la solitude, pour ne pas boire dans les citernes qui sont là pour tout le monde. Au milieu du grand nombre je vis comme le grand nombre et je ne pense pas comme je pense ; au bout d’un certain temps j’éprouve toujours le sentiment que l’on veut m’exiler de moi-même et me dérober l’âme — et je me mets à en vouloir à tout le monde et à craindre tout le monde. J’ai alors besoin du désert pour redevenir bon.

492.

Sous les vent du sud. — A : Je ne m’entends plus ! Hier encore, je sentais en moi la tempête, quelque chose de chaud et d’ensoleillé et d’extrêmement clair. Et aujourd’hui ! Voici que tout est tranquille, vaste, mélancolique et sombre comme la lagune de Venise : — je ne désire rien et je pousse un soupir de soulagement, et pourtant je suis secrètement indigné de ce « non vouloir : — ainsi les vagues clapotent de-ci de-là dans le lac de ma mélancolie. — B : Tu décris là une petite maladie agréable. Le prochain vent du nord-est te l’enlèvera ! — A : Pourquoi donc !

493.

Sur son propre arbre. — A : « Nulle idée d’un penseur ne me fait autant de plaisir que les miennes propres : il est vrai que cela ne prouve rien en