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AURORE

drir. Subissez les plus profonds bouleversements de l’esprit et de la connaissance et parvenez enfin, comme un convalescent, avec un sourire douloureux, à la liberté et à la lumière silencieuse : — il y aura toujours quelqu’un pour dire : « Celui-ci prend sa maladie pour un argument, son impuissance pour la démonstration de l’impuissance de tous ; il est assez vaniteux pour tomber malade, afin de sentir la prépondérance de la douleur. » — Et, en admettant que quelqu’un brise ses liens et qu’il s’y blesse profondément, un autre y fera allusion par plaisanterie : « Combien grande est sa maladresse, dira-t-il, il en adviendra toujours ainsi d’un homme qui est habitué à ses liens et qui est assez fou pour les briser ! »

481.

Deux Allemands. — Si l’on compare Kant et Schopenhauer avec Platon, Spinoza, Pascal, Rousseau, Gœthe, pour ce qui en est de leur âme et non de leur esprit : on s’apercevra que les deux premiers penseurs sont en posture désavantageuse : leurs idées ne représentent pas l’histoire d’une âme passionnée, il n’y a là point de roman à deviner, point de crises, de catastrophes et d’heures d’angoisse, leur pensée n’est pas en même temps l’involontaire biographie d’une âme, mais, dans le cas de Kant, celle d’un cerveau, dans le cas de Schopenhauer, la description et le reflet d’un caractère (d’un caractère « immuable ») et la joie que cause le « miroir » lui-même, c’est-à-dire la joie de rencontrer un intellect de tout premier