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LIVRE CINQUIÈME

423.

Dans le grand silence. — Voici la mer, ici nous pouvons oublier la ville. Il est vrai que les cloches sonnent encore l’Ave Maria — c’est ce bruit funèbre et insensé, mais doux, au carrefour du jour et de la nuit. Attendez un moment encore ! Maintenant tout se tait ! La mer s’étend pâle et brillante, elle ne peut pas parler. Le ciel joue avec des couleurs rouges, jaunes et vertes son éternel et muet jeu du soir, il ne peut pas parler. Les petites falaises et les récifs qui courent dans la mer, comme pour y trouver l’endroit le plus solitaire, tous ils ne peuvent pas parler. Cet énorme mutisme qui nous surprend soudain, comme il est beau, et cruel à dilater l’âme ! — Hélas ! quelle duplicité il y a dans cette muette beauté ! Comme elle saurait bien parler, et mal parler aussi, si elle le voulait ! Sa langue liée et le bonheur souffrant empreint sur son visage, tout cela n’est que malice pour se moquer de ta compassion ! — Qu’il en soit ainsi ! Je n’ai pas honte d’être la risée de pareilles puissances. Mais j’ai pitié de toi, nature, parce qu’il faut que tu te taises, quand même ce ne serait que ta malice qui