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AURORE

cheval ? Bref, il regarde autour de lui, ravi, car il a des coups d’œil de ravissement à rassembler ; — ce n’est qu’à présent que son thème lui plaît entièrement, maintenant seulement il devient inventif, il ose des traits nouveaux et audacieux. Comme il fait ressortir son thème ! Ah ! prenez garde ! — il ne s’entend pas seulement à orner, mais aussi à farder ! Il sait bien quelle est la couleur de la santé, il s’entend à la faire apparaître, — il est plus fin dans sa connaissance de soi que je ne le pensais. Et maintenant il est persuadé qu’il a convaincu ses auditeurs, il présente ses inventions comme si elles étaient les choses les plus importantes sous le soleil, il indique son thème d’un doigt insolent, comme s’il était trop bon pour ce monde. — Ah ! comme il est méfiant ! Il a peur que nous ne nous fatiguions ! C’est pourquoi il enfouit ses mélodies sous des choses doucereuses, — le voici qui fait même appel à nos sens plus grossiers, pour nous émouvoir et nous tenir de nouveau sous sa puissance. Écoutez comme il évoque la force élémentaire des rythmes, de la tempête et de l’orage ! Et maintenant qu’il s’aperçoit que ceux-ci nous saisissent, nous étranglent et sont prêts à nous écraser, il ose mêler de nouveau son thème au jeu des éléments, pour nous convaincre, nous qui sommes à moitié assourdis et ébranlés, que notre assourdissement et notre émotion sont les effets de son thème miraculeux. Et désormais les auditeurs lui prêtent foi : dès que le thème retentit un souvenir de ces émouvants effets élémentaires naît dans leur mémoire, — et le thème profite maintenant de ce souvenir, — le voici