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AURORE

d’opérations de bourse et de spéculations : qu’est-ce qui les pousse ? Ce n’est pas la misère véritable, leur existence n’est pas tout à fait précaire, peut-être même mangent-ils et boivent-ils sans soucis, — mais c’est une terrible impatience de voir que l’argent s’amasse si lentement et une joie et un amour tout aussi terribles pour l’argent amassé, qui les poussent nuit et jour. Dans cette impatience et dans cet amour, cependant, reparaît ce fanatisme du désir de puissance qui fut enflammé autrefois par la croyance d’être en possession de la vérité, ce fanatisme qui portait de si beaux noms que l’on pouvait se hasarder à être inhumain avec une bonne conscience (à brûler des juifs, des hérétiques et de bons livres, et à exterminer des civilisations supérieures tout entières, comme celles du Pérou et du Mexique). Les moyens dont se sert le désir de puissance se sont transformés, mais le même volcan bouillonne toujours, l’impatience et l’amour démesuré veulent avoir leurs victimes : et ce que l’on faisait autrefois « pour la volonté de Dieu », on le fait maintenant pour la volonté de l’argent, c’est-à-dire à cause de ce qui donne maintenant le sentiment de puissance le plus élevé et la meilleure conscience.

205.

Du peuple d’Israël. — Parmi les spectacles à quoi nous invite le prochain siècle, il faut compter le règlement définitif dans la destinée des juifs européens. Il est de toute évidence maintenant qu’ils ont jeté leurs dés, qu’ils ont passé leur Rubicon :